Manifeste de la Chaire arts & sciences

Coopérer pour une interdépendance sensible et raisonnée

Créée en 2017, la Chaire arts & sciences est portée conjointement par l’École polytechnique, l’École des Arts Décoratifs et la Fondation Daniel et Nina Carasso. Alliant une fondation engagée pour un “Art citoyen” et deux établissements d’enseignement et de recherche, la Chaire arts & sciences développe un ensemble d’activités sous le signe de la coopération et de l’interdépendance : entre les disciplines, entre le monde académique et la société civile, entre les humains et leurs environnements terrestres et techniques. Comment agir ensemble dans un contexte d’urgence écologique, d’incertitudes sociétales et d’évolutions technologiques et financières non raisonnées au regard du bien commun ? Comment reconsidérer nos liens d’interdépendance(s), nos modalités d’interaction et nos relations sensibles, entre humains et non-humains ?

Si ces questions sont vastes, elles représentent bien la complexité de notre temps et nécessitent, non pas des réponses univoques, mais des propositions et expérimentations visant à restructurer nos modes de pensée et modalités d’action, qui impliquent :

d’allier la recherche et la création pour instituer des modes de représentation et d’action radicalement transversaux et citoyens, afin de mobiliser le plus grand nombre sur la nécessité d’envisager le monde en tant que bien commun ;
de considérer toute recherche artistique et scientifique non seulement comme productrice de nouvelles connaissances et formes mais aussi comme une activité critique permanente de ses objectifs, de ses moyens et de son impact sociétal et environnemental ;
de repenser les formations scientifique et artistique au bénéfice du commun plutôt que des intérêts sectoriels et de la réussite individuelle ;
de développer par la pratique des formes de coopération assumant une relation à la fois engagée et réfléchie avec les techniques, comme facteur d’expérimentation et de savoir-faire partagés.

Cette redistribution des rôles appelle désormais à relativiser la position centrale que l’être humain s’est donné et, par là-même, sa prétention à maîtriser la Terre. Au-delà de la coopération pluridisciplinaire, nous avons besoin aujourd’hui d’une coopération généralisée qui inclut tous les citoyens et qui reconnaît aussi les autres espèces, écosystèmes ou territoires dans leur citoyenneté, celle d’une cité-monde.En prenant appui aussi bien sur des pratiques techniques, scientifiques, artistiques que sur des savoirs situés citoyens, cette coopération doit se concrétiser de manière opérationnelle et avoir des effets en termes environnementaux et sociétaux. Pour mettre en œuvre et partager cette vision, la Chaire arts & sciences développe ses activités grâce à l’alliance de trois modalités principales :

via des projets de recherche-création qui mêlent de nombreuses disciplines (y compris des savoirs et savoir-faire situés non-académiques) et de nombreux acteurs (végétaux, machines, …). Ces projets donnent lieu à des réalisations et de connaissances partagées sous formes d’œuvres, de dispositifs expérimentables ou d’instruments, ou de publications ;
par une démarche de formation par la pratique qui s’appuie sur de tels projets et processus de travail afin d’engager les étudiant.e.s dans un apprentissage collectif par le faire, avec une attention soutenue envers toutes les parties prenantes, quelles que soient leurs échelles spatiale ou temporelle (de l’atome aux océans). Ces engagements ont lieu via des ateliers, des écoles d’été ou des stages pluridisciplinaires ;
avec l’invention de situations visant à renouveler les rapports aux publics et même, à constituer et à mobiliser des publics. De nouveaux formats de “publicisation” sont ainsi inventés et testés : des posters-brunchs, des expositions-tests, des soutenances-démos, des workshops publics, des tables rondes performatives (Dissect) et une revue multi-supports basée sur l’image : .able.

Ces trois approches donnent lieu à l’exploration de champs relevant de problématiques complexes contemporaines voire prospectives :

co-opérer avec la puissance d’action, voire de vie, de l’atmosphère (Formes de l’eau), de la matière (Responsive Matter) et des objets (Behavioral Objects) ;
participer à la mise en œuvre d’écosystèmes révélateurs d’une attention multi et trans-espèces (Alliances végétales) ; observer le scintillement de la matière à grande et nano-échelle (Cosmos luminescent) ;
repenser l’usage et la matérialité des datas sous l’angle écologique et éthique à l’ère du Cloud Computing et du Machine Learning (Data Scape).