26 novembre 2018
    Le Monde
    « Quand les Arts déco et Polytechnique font chaire commune »
    Aude de Bourbon Parme

    L’Ecole nationale des Arts décoratifs et Polytechnique ont créé, avec la fondation Daniel & Nina Carasso, une chaire commune « arts et sciences ». Cet espace de coexpérimentation et de réflexion organise des événements et soutient les projets de ses étudiants, à la croisée des disciplines.

    Emile de Visscher (SACRe/EnsadLab) Pétrification, 2018
    © Photo : Hands Studio

    Grâce à la chaire arts et sciences, Emile de Visscher, étudiant à l’EnsAD, a pu imaginer une soutenance de thèse sous la forme d’une exposition publique au Musée des arts et métiers, le 26 novembre 2018. Hands Studio

    L’intitulé a de quoi surprendre : en 2017, Polytechnique, l’Ecole nationale supérieure des Arts décoratifs (EnsAD) et la fondation Daniel & Nina Carasso créaient la chaire arts et sciences.

    Si une chaire est normalement une place offerte à un professeur et/ou chercheur de renom pour développer sa discipline, l’ambition de celle-ci est tout autre.

    « Elle doit embarquer des étudiants, d’autres collègues de différentes disciplines et s’adresser à la société dans son ensemble », explique l’artiste-chercheur à l’EnsAD Samuel Bianchini, qui dirige la chaire avec Jean-Marc Chomaz, artiste-physicien professeur à Polytechnique.

    Un rôle de sponsor

    Il s’agit d’un espace de coexpérimentation, de réflexion et de création. Elle soutient des projets développés par des étudiants. Elle a ainsi été l’un des sponsors financiers principaux de la présentation de la vidéo Through The Looking Mist et de l’installation Néphélographe (Impressions de brouillard) à l’occasion de la Nuit blanche, le 6 octobre 2018 à Paris.

    A l’origine de cette œuvre, une collaboration entre l’artiste Ana Rewakowicz, en résidence à Polytechnique, Camille Duprat, chercheuse au laboratoire d’hydro­dynamique de Polytechnique (LadHyX), et Jean-Marc Chomaz. « L’œuvre d’art est l’expression immédiate de nos recherches », explique l’artiste, dont les conférences Garden the Sky Water organisées en 2019 seront elles aussi financées par la chaire.

    Cette dernière a également permis à Emile de Visscher, étudiant à l’EnsAD, d’imaginer une soutenance de thèse sous la forme d’une exposition publique au Musée des arts et métiers, le 26 novembre 2018.

    « La chaire m’a soutenu finan­cièrement et en termes de communication, explique le jeune créateur. Samuel Bianchini et Julie Sauret, en particulier, m’ont aidé à penser le format de soutenance. Toute ma thèse parle des processus de fabrication et de la manière de les socialiser. Je n’aurais pas pu la ­présenter uniquement à mes pairs, sans public, et en dissociant la pratique de la théorie, comme cela se fait généralement. »

    Un réseau pour les étudiants

    La chaire lui a ouvert les portes d’un réseau, celui de l’université Paris-Sciences-et-Lettres (PSL) : « J’ai pu aller à l’ESCPI [Ecole supérieure de physique et de chimie industrielles de la Ville de Paris], au Collège de France, dans des laboratoires. C’est une expérimentation très riche et très intéressante. Elle permet de réfléchir à la collaboration. » Et l’étudiant de poursuivre : « Les arts apportent-ils quelque chose aux sciences en s’appropriant leurs recherches ? »

    Au-delà de l’accompagnement de projets développés individuellement ou en petits groupes, le trio X-Art Déco-Carasso organise aussi des événements.

    En février 2018, les étudiants de Polytechnique et de l’EnsAD ont pu participer à « Nous ne sommes pas le nombre que nous croyons être ». Ce marathon de 36 heures organisé avec Bétonsalon à la Cité des arts, à Paris, réunissait artistes, chercheurs et autres personnalités de la société civile. Workshops, conférences et présentations « embarquaient le public dans la production, l’échange, la discussion avec des artistes, scientifiques et collectifs autour de projets concrets, pratiques », raconte Samuel Bianchini.

    L’une des grandes conférences était celle du sociologue et anthropologue Bruno Latour et du philosophe Pierre-Damien Huyghe. « Elle révélait le réseau d’affinités de pensées très pluridisciplinaire que nous développons », explique l’artiste-chercheur.

    « En participant à un projet arts et sciences, les étudiants de l’X découvrent la part sensible des sciences. » Jean-Marc Chomaz, artiste-physicien

    En janvier, la chaire arts et sciences participera à l’exposition « La fabrique du vivant », au Centre Pompidou. Elle mettra en place des événements, un symposium et un workshop, en collaboration avec l’Institut de recherche et coordination acoustique/musique. Samuel Bianchini explique l’importance de s’ouvrir au public : « Nous devons repenser les relations entre les milieux académiques et la société pour éviter une forte scission entre la recherche et le monde tel qu’il se vit au quotidien. »

    Pour Jean-Marc Chomaz, cette chaire est « un lieu d’ouverture » pour les étudiants de Polytechnique. « En participant à un projet arts et sciences, ils rencontrent un artiste, découvrent la part sensible des sciences, participent à des événements collectifs, approchent une communauté, s’engagent, se mettent en danger et apprennent à ­discuter avec le public », énumère l’artiste-physicien de l’X.

    Faire évoluer les mentalités

    Une manière pour lui de faire doucement évoluer les mentalités de l’X. En ­révélant « la part de sensible du ­savoir ». En incitant à l’engagement politique et citoyen des futurs décisionnaires que sont les étudiants polytechniciens. Enfin, « en construisant la mise en récit du futur ». Et cela semble marcher ! « L’école m’a demandé d’organiser une conférence sur la part du sensible dans la recherche », s’enthousiasme Jean-Marc Chomaz.

    Pour donner de l’envergure à ce programme, ses initiateurs ont voulu rassembler plusieurs institutions autour de leur chaire, afin de prolonger les activités déjà engagées par Polytechnique (et son laboratoire LadHyX), par l’EnsAD (avec l’EnsadLab), et par le programme doctoral SACRe (sciences arts création et recherche) de l’université PSL.

    La chaire n’est plus le magistère d’antan, elle est un espace de rencontres entre disciplines, qui ouvre des perspectives et un réseau.

    lemonde.fr